CHAPITRE IV

« L’impatience de la jeunesse », que voilà une expression stupide. Plus je vis, plus je deviens impatiente. D’accord, s’il ne se passe pas grand-chose, je peux parfaitement rester sans rien faire et m’en accommoder. Une fois, je suis restée dans une grotte six mois durant, avec seulement le sang d’une famille de chauves-souris à me mettre sous la dent. Mais après tous ces siècles passés, aujourd’hui quand je veux quelque chose, je le veux tout de suite. Pour ce qui est de nouer des relations, ça ne traîne pas. C’est pourquoi, dans mon esprit, je considère déjà Ray et Seymour comme des amis, alors que nous venons à peine de faire connaissance.

Évidemment, je mets souvent fin à mes amitiés tout aussi vite.

Ce sont les coups que Ray donne à ma porte qui me sortent de ma léthargie. Comment un vampire dort-il ? La réponse est simple. Comme quelque chose de mort. C’est vrai, je rêve souvent quand je dors, mais ce sont d’ordinaire des rêves de sang et de douleur. Et celui que je viens de faire, celui avec Amba, Rama et Yaksha, quand tout a commencé, est encore celui que je trouve le plus douloureux. La douleur ne s’atténue pas avec le temps.

C’est d’un pas lourd que je vais de la chambre à la porte d’entrée.

Ray a troqué ses vêtements du lycée pour un jean et un sweat-shirt gris. Il est dix heures du soir. Un regard sur lui me dit qu’il se demande ce qu’il fait ici, chez moi, à la nuit tombée. Cette fille qu’il vient tout juste de rencontrer. Cette fille avec ce regard hypnotique. S’il n’avait pas d’arrière-pensée tout à l’heure, ça ne saurait tarder.

— Est-ce qu’il est trop tard ? s’inquiète-t-il.

Je souris et réponds :

— Je suis un vampire. Je reste debout toute la nuit. Mais entre donc, dis-je en faisant un pas de côté et en l’invitant du geste. Et excuse le vide. Comme je t’ai dit, j’ai pas mal de meubles qui sont encore au garage. Les déménageurs n’ont pas pu entrer dans la maison quand ils sont venus.

Ray jette un regard autour de lui et a un signe de tête approbateur.

— Tu as dit que tes parents n’étaient pas là ?

— J’ai dit ça, oui.

— Où sont-ils ?

— Au Colorado.

— Où vivais-tu au Colorado ?

— Dans les montagnes. Tu veux boire quelque chose ?

— Bien sûr. Qu’est-ce que tu as ?

— De l’eau.

Il rit.

— Ça me paraît parfait. Du moment que tu m’accompagnes.

— Avec plaisir. Tant qu’à faire, je pourrais nous trouver une bouteille de vin. Est-ce que tu bois ?

— Je prends une bière de temps en temps.

On va dans la cuisine.

— Le vin est bien meilleur, dis-je. Le rouge. Est-ce que tu manges de la viande ?

— Je ne suis pas végétarien, si c’est ce que tu veux dire. Pourquoi cette question ?

— Comme ça.

Il est si adorable, c’est difficile de résister à l’envie de le mordiller.

On prend un verre de vin ensemble, debout dans la cuisine. On boit à la paix dans le monde. Ray est anxieux de se mettre au travail, qu’il dit. Il est anxieux, un point c’est tout. Seule avec un mortel, je dégage une aura encore plus forte. Ray est conscient d’être en présence d’une femme exceptionnelle, et cela l’intrigue, et le trouble. Je demande comment va Pat. Puisqu’il est troublé, autant l’attaquer de front.

— Très bien, répond-il.

— Lui as-tu dit que tu venais chez moi ?

Il baisse la tête. Il se sent un peu coupable, mais pas plus que ça.

— Je lui ai dit que j’étais fatigué et que je voulais aller me coucher.

— Tu peux dormir ici si tu veux. Une fois que tu auras amené les lits.

Mon audace le surprend.

— Mon père se demanderait où je suis, rétorque-t-il.

— J’ai le téléphone. Tu peux l’appeler. Il fait quoi, ton père ?

— Il est détective privé.

— Ça a l’air fascinant. Tu veux l’appeler ?

Ray me regarde dans les yeux. Je soutiens son regard. Lui ne se dérobe pas, contrairement à la réaction qu’avait eue son père lorsque je l’avais fixé. Le fils possède une force intérieure.

— On va voir comment ça se passe et à quelle heure on finit, répond-il avec circonspection.

Il se met au travail. Il ne tarde pas à souffler comme un bœuf. Je l’aide, mais juste un petit peu. Il fait néanmoins une remarque sur ma vigueur. Je lui raconte comment j’ai sympathisé avec Seymour et il se montre intéressé. Apparemment, Seymour est aussi son ami.

— C’est probablement le gars le plus intelligent du lycée, dit Ray en tramant deux chaises de salle à manger. Il n’a que seize ans et il va passer son bac en juin.

— Il m’a dit qu’il aimait écrire.

— Il écrit des trucs incroyables. Il a fait lire à Pat deux ou trois de ses nouvelles qu’ensuite elle m’a passées. C’était vraiment noir, mais superbe. Il y en avait une, c’était sur les choses qui se produisent entre les moments qui s’égrènent. Ça s’appelait « La seconde aiguille ». Il avait imaginé ce personnage qui soudain commence à vivre entre les moments, et découvre qu’il arrive plus de choses dans cette dimension-là que dans le temps normal.

— Ça me paraît intéressant. Qu’est-ce qui faisait que le récit était noir ?

— Le type vivait la dernière heure de sa vie, mais pour lui ça durait un an.

— Savait-il que c’était sa dernière heure ?

Ray a un moment d’hésitation. Il doit savoir que Seymour n’est pas en bonne santé.

— Je l’ignore, Lara.

C’est la première fois qu’il prononce mon prénom.

— Appelle-moi Sita, dis-je, me surprenant moi-même.

Il lève un sourcil.

— Un surnom ?

— En quelque sorte. C’est mon père qui m’appelait comme ça.

Ray remarque le changement dans ma voix, où s’est glissée une note de tristesse. A moins que ce soit de la mélancolie, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que le chagrin. De tous les gens que j’ai aimés, personne n’a utilisé mon vrai nom depuis des milliers d’années. Je crois que ce me serait agréable d’entendre Ray le dire.

— Combien de temps ta famille va-t-elle rester au Colorado ? demande-t-il.

— J’ai menti. Mon père n’est pas là-bas. Il est mort.

— Je suis désolé.

— Je pensais à lui avant que tu arrives. (Je soupire.) Il est mort il y a longtemps.

— Comment est-il mort ?

— Il a été assassiné.

Ray a un air consterné.

— Ça a dû être terrible pour toi. Je sais que si jamais il arrivait quelque chose à mon père, ce serait un choc. Ma mère nous a quittés quand j’avais cinq ans.

J’ai comme une boule dans la gorge. La réaction est si forte que je me rends compte jusqu’où je me suis laissé entraîner dans cette relation avec le garçon. Tout ça parce qu’il a les yeux de Rama ? Pas seulement ça. Il a aussi la voix de Rama. Non, certainement pas son accent ; les écoutant parler dans un même lieu, le commun des mortels n’aurait jamais trouvé une ressemblance entre leurs deux voix. Mais pour moi, à mes oreilles de vampire, les nuances subtiles de leurs voix sonnent de façon presque identique. Le silence entre les syllabes. C’est ce silence impénétrable qui m’a de prime abord attirée chez Rama.

— Tu dois être très proche de lui.

C’est la seule chose que je trouve à dire.

Je sais pourtant que je vais devoir bientôt remettre la question du père sur le tapis. Il faut que j’entre dans ce bureau ce soir. J’espère seulement avoir bien nettoyé toutes les taches de sang. Je ne veux pas me trouver avec le garçon lorsqu’il apprendra la vérité.

S’il l’apprend.

Je le laisse finir le déménagement, ce qui lui prend une heure ou deux alors que j’ai mis moins de vingt minutes pour mettre tout ça dans le garage. Il est minuit passé. Je lui offre un autre verre de vin – un grand verre – qu’il avale en cinq sec. Il a soif, comme moi. J’ai soif de son sang, j’ai soif de son corps. Le sang et le sexe ne sont pas tellement séparés dans mon esprit. Mais je ne suis pas la veuve noire. Je ne tue pas après l’accouplement. Néanmoins, l’envie de sang, le désir, ce sont des choses qui me viennent parfois en même temps. Sauf que là, je ne veux pas faire de mal à ce jeune homme, je ne veux pas qu’il lui arrive quoi que ce soit de désagréable. Certes, du seul fait qu’il est avec moi, ses chances de mourir sont beaucoup plus grandes. Je ne dois penser qu’à mon affaire, et à l’individu qui aujourd’hui me traque. Comme Ray repose son verre vide, je l’observe.

— Je devrais rentrer, dit-il.

— Tu ne peux pas conduire.

— Pourquoi ?

— Tu es soûl.

— Je ne suis pas soûl.

Je souris et insiste :

— Je t’ai donné assez d’alcool pour te rendre ivre. Regarde les choses en face, mon cher, tu es coincé ici pour un bout de temps. Mais si tu veux dessoûler rapidement, prends un bain chaud avec moi. Tu vas suer tout l’alcool que tu as dans le sang.

— Je n’ai pas apporté mon maillot.

— Moi je n’en ai pas, dis-je.

Il est intéressé – très intéressé – mais indécis.

— Je ne sais pas.

Je fais un pas vers lui et pose les mains sur sa poitrine en sueur. Ses muscles sont bien développés. Ce serait amusant de lutter contre lui, d’autant plus que je sais qui gagnerait. Je le regarde dans les yeux ; il fait presque une tête de plus que moi. Il baisse son regard sur moi, et il a la sensation de s’abîmer dans le mien, dans deux puits de bleu sans fond, deux gouffres d’azur au-delà desquels se cachent les ténèbres éternelles de l’espace. Le royaume des yakshinis. En ce moment-ci, il entrevoit en moi l’être de la nuit. Moi, j’entrevois d’autres choses chez lui, des choses qui m’arrachent un frisson. Il ressemble tant à Rama, ce garçon. Il me hante. Se pourrait-il que cela fut vrai ? Les paroles de Krishna que m’avait citées Radha à propos de l’amour ?

« Le temps ne peut le détruire. Je suis cet amour ; le temps ne peut m’atteindre. Le temps ne fait qu’en changer la forme. Quelque part un jour il va revenir. Quand tu t’y attends le moins, le visage de l’être aimé réapparaît. Regarde au-delà de ce visage et…»

C’est étrange, mais je ne me souviens plus de la dernière partie. Moi qui ai une mémoire parfaite.

— Je n’en parlerai pas à Pat, dis-je. Elle ne saura jamais.

Il respire un bon coup.

— Je n’aime pas lui mentir, réplique-t-il.

— Les gens se mentent toujours l’un à l’autre. C’est comme ça que va le monde. Accepte-le. Ça ne veut pas dire que tes mensonges vont obligatoirement faire du mal.

Je lui prends les mains ; elles tremblent un peu, mais ses yeux sont restés fixés sur les miens. J’embrasse ses doigts et les passe sur ma joue.

— Elle ne souffrira pas de ce qui arrive avec moi, dis-je.

Il esquisse un vague sourire.

— Est-ce un mensonge pour m’épargner une blessure ? demande-t-il.

— Peut-être.

— Qui es-tu ?

— Sita.

— Qui est Sita ?

— Je te l’ai déjà dit, mais tu n’écoutais pas. Cela n’a pas d’importance. Viens, on va s’asseoir dans l’eau tous les deux et je vais te masser les muscles. Tu vas adorer ça. J’ai des mains fortes.

Peu après, nous sommes tous les deux nus dans le jacuzzi. Bien sûr, j’ai eu de nombreux amants et amantes – des milliers, en vérité –, et je suis toujours autant attirée par la peau. Ray offre à mes regards son dos nu, et cela m’excite ; mes genoux effleurent son torse tandis que mes mains pétrissent la chair le long de sa colonne vertébrale. Ça fait longtemps que je n’ai pas massé quelqu’un, et j’y prends plaisir. L’eau est très chaude. Des volutes de vapeur montent autour de nous et la peau de Ray rougit. Mais il dit qu’il aime ça comme ça, quand c’est si chaud qu’il a l’impression d’être plongé dans l’eau bouillante. Moi, évidemment, ça ne me dérange absolument pas. Je me penche sur lui et le mords légèrement à l’épaule.

— Attention, dit-il.

Il pense à Pat ; il ne tient pas à ce que je laisse des marques. Je le rassure :

— Demain matin, il n’y paraîtra plus.

J’aspire quelques gouttes de sang à la morsure que je viens de lui faire. Quelle agréable façon de passer la nuit. Le sang coule comme un élixir dans ma gorge, ce qui me fait en vouloir encore davantage. Mais je résiste à l’envie. Je pince le bout de ma langue entre mes dents, et une goutte de sang s’écoule dans la blessure. Elle se dilue instantanément. Je reviens à mon massage.

— Ray ? dis-je.

Il gémit de plaisir.

— Oui.

— Tu peux me faire l’amour si tu veux.

Il gémit encore.

— Tu es une fille étonnante, Sita.

Je le fais se retourner, lentement, en prenant tout mon temps, en savourant le plaisir. Il ne voudrait pas me regarder, mais il ne peut s’en empêcher. Je me rapproche et l’embrasse sur les lèvres. Je sais ce qu’il ressent. Sa première réaction, c’est la surprise : embrasser un vampire, ce n’est pas la même chose que d’embrasser un mortel. Nombreux sont ceux, hommes et femmes, qui se sont pâmés au seul contact de mes lèvres. Tel est le plaisir que je peux procurer. Il y a cependant le revers de la médaille : il arrive souvent que mon baiser aspire le souffle de la personne que j’embrasse, même si telle n’est pas mon intention. Je sens le cœur du garçon qui commence à battre la chamade. Je le lâche avant qu’il n’y ait danger. Plus le temps passe, plus je me jure de ne pas lui faire de mal, et plus cela me paraît inévitable. Il me serre contre lui, contre son torse ruisselant, et essaie de retrouver son souffle tandis qu’il pose son menton sur mon épaule.

— Tu t’étouffes ? je demande.

— Oui. (Il tousse.) Je crois que c’est toi.

Je glousse tout en continuant de lui caresser le dos.

— Ça pourrait être pire.

— Tu n’es pas comme les autres filles que j’ai connues.

— Tu ne veux pas n’importe quelle fille, Ray.

Il se rassoit, mes jambes nues toujours autour de lui. Il n’a pas peur de me regarder dans les yeux.

— Je ne veux pas tromper Pat, assure-t-il.

— Dis-moi ce que tu veux.

— Je veux passer la nuit avec toi.

— C’est un paradoxe. Lequel de nous va gagner ? (Je marque un temps d’arrêt, puis ajoute :) Je suis passée maître dans l’art de garder les secrets. On peut gagner tous les deux.

— Que veux-tu de moi ?

Sa question me surprend. Perspicace, le garçon.

— Rien, dis-je en mentant.

— Moi, je crois que tu veux quelque chose.

Je souris.

— Il y a ton corps.

Il est forcé de sourire à son tour. Mon charme, je sais. Il ne renonce cependant pas.

— Que veux-tu d’autre ?

— Je me sens seule.

— Tu n’en as pas l’air.

— Je ne me sens pas seule quand je te regarde.

— Tu me connais à peine.

— Tu me connais à peine. Pourquoi veux-tu passer la nuit avec moi ?

— Il y a ton corps. (Mais son sourire s’efface et il baisse la tête.) Il y a autre chose, également. Quand tu me regardes, je sens… je sens que tu vois quelque chose que personne d’autre ne voit. Tu as un regard si étrange.

Je l’attire à nouveau à moi. Je l’embrasse.

— C’est vrai. (Je l’embrasse encore.) Je lis parfaitement en toi. (Un autre baiser.) Je vois comment tu fonctionnes.

Je colle mes lèvres aux siennes pour la quatrième fois. Un baiser qui le laisse à bout de souffle lorsque je le libère.

— Et je fonctionne comment ? demande-t-il après une profonde inspiration.

— Tu aimes Pat, mais tu as soif de mystère. Le mystère peut être aussi piquant que l’amour, tu ne crois pas ? Tu me trouves mystérieuse et tu as peur en me laissant filer de le regretter par la suite.

Il est impressionné.

— C’est exactement ça. Comment as-tu su ?

Je ris.

— Ça fait partie du mystère, dis-je.

Il répond à mon rire, puis déclare :

— Tu me plais, Sita.

Je cesse de rire. Ces mots – si simples, si innocents – me transpercent comme la lame d’un poignard. Personne depuis bien des années ne m’a dit quelque chose d’aussi charmant que « tu me plais ». Sentiment puéril, je sais, n’empêche que c’est là. Je me rapproche pour l’embrasser de nouveau, sachant cette fois que je vais l’étreindre si fort qu’il sera incapable de résister. Cependant, quelque chose me retient.

« Regarde au-delà de ce visage et c’est moi que tu verras. »

Les paroles que Krishna a transmises à Radha et que celle-ci m’a rapportées. Il y a quelque chose dans les yeux de Ray, une lueur derrière le regard, qui me retient de le souiller de mon contact. Je sens bien alors que je suis une créature du démon. Au fond de moi, je maudis Krishna. C’est bien seulement cette mémoire que j’ai de son visage qui me fait éprouver ce que je ressens. Sans quoi, si nous ne nous étions pas déjà rencontrés, cela me serait égal.

— Je tiens à toi, Ray. (Je détourne la tête.) Viens, sortons de là et habillons-nous. Je veux te parler de certaines choses.

Ray est choqué de ce revirement soudain. Désappointé.

Mais je le sens aussi soulagé.

 

Quelques minutes plus tard, nous sommes assis sur le plancher du salon, près du feu, en train de finir la bouteille de vin. L’alcool a peu d’effet sur moi ; je peux boire une douzaine de trucs à rouler sous la table. Nous parlons de plein de choses et j’en apprends davantage sur Ray. Il projette d’aller à Stanford l’automne prochain pour étudier la physique et les beaux-arts. Un curieux doublé dans deux matières principales, ce qu’il reconnaît volontiers. L’inscription à Stanford l’inquiète beaucoup ; il n’est pas sûr que son père puisse lui payer ça. Il a bien raison de s’inquiéter, me dis-je en moi-même. Il se passionne pour la mécanique quantique et l’art abstrait. Il travaille après le lycée dans un supermarché. Il ne parle pas de Pat, et je n’en parle pas non plus. Par contre, je ramène la conversation sur le père.

— Il se fait tard, dis-je. Tu es sûr que tu ne veux pas appeler ton père pour lui raconter que tu es assis nu dans un jacuzzi en compagnie d’une belle blonde ?

— Pour te dire la vérité, je ne crois pas que mon père soit à la maison.

— Il a une petite amie lui aussi ?

— Non, ces derniers jours, il n’était pas en ville. Il travaillait sur une affaire.

— Quel genre d’affaire ?

— Je ne sais pas, il ne me l’a pas dit. Sauf que c’est un gros truc et qu’il espère en tirer beaucoup d’argent. Ça fait quelque temps qu’il travaille là-dessus. Mais je suis inquiet à son sujet, ajoute Ray. Ça lui arrive souvent de s’absenter des jours entiers, mais il n’est jamais resté si longtemps sans appeler.

— As-tu un répondeur chez toi ?

— Oui.

— Et il ne t’a pas même pas laissé de message ?

— Non.

— Depuis combien de temps n’a-t-il pas donné signe de vie ?

— Trois jours. Je sais, ça ne paraît pas long mais, je te jure, d’habitude il m’appelle tous les jours.

Je hoche la tête en signe de sympathie.

— À ta place, moi aussi je serais inquiète. A-t-il un bureau en ville ?

— Oui. Sur Tudor, pas loin de l’océan.

— Es-tu passé à son bureau ?

— J’ai appelé sa secrétaire, mais elle non plus n’a pas de nouvelles.

— C’est ridicule, Ray. Tu devrais appeler la police et signaler sa disparition.

Ray écarte cette éventualité d’un geste.

— Tu ne connais pas mon père. Je ne pourrais jamais faire ça. Il serait furieux. Non, je suis sûr qu’il est simplement pris par son boulot et qu’il va m’appeler dès qu’il en aura l’occasion. (Il s’interrompt, avant de préciser) J’espère.

— J’ai une idée, dis-je comme si elle m’était venue à l’instant. Pourquoi ne vas-tu pas à son bureau consulter ses dossiers pour voir ce que c’est cette grosse affaire ? Ça pourrait te renseigner sur l’endroit où il se trouve.

— Il n’apprécierait pas que je mette le nez dans ses dossiers.

Je hausse les épaules.

— À toi de voir. Mais si c’était mon père, je voudrais savoir où il est.

— Ses dossiers sont tous sur ordinateur, il faudrait que j’entre dans le système, et ça laisserait un message qui signalerait la chose. Il l’a programmé comme ça.

— Peux-tu entrer dans ses fichiers ? Je veux dire, est-ce que tu connais le mot de passe ?

Il a un moment d’hésitation.

— Comment sais-tu qu’il faut un mot de passe ? demande-t-il.

Je décèle une note de suspicion dans la question, et une fois encore je m’étonne des facultés de perception du garçon. Mais je ne m’attarde pas là-dessus parce que j’attends ce moment depuis que j’ai tué son père ça fait maintenant deux jours, et je n’ai nullement l’intention de chambouler mes plans.

— Je n’en sais rien, dis-je. C’est seulement une des façons courantes de protéger des fichiers.

Mon explication semble le satisfaire.

— Oui, je peux entrer dans ses fichiers. Le mot de passe est un surnom qu’il me donnait quand j’étais gosse.

Pas besoin de lui demander ce que c’est, cela ne ferait qu’accroître ses soupçons. Au lieu de cela, je bondis sur mes pieds et lance :

— Viens, on y va tout de suite. Tu dormiras mieux quand tu sauras ce qu’il en est.

Surpris par ma proposition, il ne peut que répliquer :

— Là, tout de suite ?

— Bon, tu ne veux quand même pas farfouiller dans ses dossiers quand la secrétaire sera là. C’est le moment idéal. Je viens avec toi.

— Mais il est tard. (Il bâille.) Je suis fatigué. J’étais en train de me dire que je devrais rentrer à la maison. Il y sera peut-être.

— C’est une idée. Vérifie d’abord ça. Mais s’il n’y est pas, et qu’il ne t’a pas laissé de message, alors il faut que tu ailles à son bureau.

— Pourquoi te soucies-tu tellement de mon père ?

Je m’arrête net, comme si sa question me blessait.

— As-tu besoin de me le demander ?

Je veux bien sûr lui rappeler ce que je lui ai moi-même raconté à propos de la mort tragique de mon père, et je n’éprouve aucune honte à le manipuler de la sorte. Il paraît troublé, comme il se doit, pose son verre de vin et se lève.

— Désolé, s’excuse-t-il. Tu as peut-être raison. Je dormirai mieux en sachant ce qui se passe. Mais si tu viens avec moi, je vais devoir te ramener ici.

— Peut-être, dis-je avant de lui donner un bref baiser. Ou peut-être que je vais simplement voler jusqu’à la maison.

 

La Promesse
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